L’inertie écologique de notre pays a trop duré


Cédric Chevalier

Certains éminents épidémiologistes affirment que notre inertie écologique tuera et tue déjà aujourd’hui bien plus de gens sur Terre que la pandémie de Covid-19.
Une opinion de Cédric Chevalier, auteur de Déclarons l’Etat d’Urgence écologique (Luc Pire), coordinateur de la pétition citoyenne “Déclarons l’état d’urgence environnemental et social”.

Climat record, inertie politique et absence de transition concrète nous ont poussés à lancer fin 2018 une pétition rassemblant 40 000 signatures et appelant la Belgique à déclarer l’urgence écologique. Paraissait ensuite l’alarmant rapport spécial du Giec et naissait le mouvement des “gilets jaunes”, tandis que des millions de personnes s’engageaient dans le mouvement climatique historique. Ce mouvement échoua chez nous à faire voter une loi climat pour déclencher la transition. Depuis la chute du fédéral, les élections et le chaos causé par la pandémie, l’urgence écologique – pourtant à la fois sociale, environnementale, démocratique et économique – a disparu des radars. Or, les leçons de la pandémie s’appliquent à l’écologie : une urgence existentielle avérée mais négligée puis niée puis traitée trop tard et dans la précipitation cause un nombre inacceptable de victimes.

Les quatre vagues dévastatrices

Un dessin fameux illustre la succession de quatre vagues de plus en plus dévastatrices : la pandémie, la crise socio-économique, le réchauffement climatique et l’extinction du vivant. Certains éminents épidémiologistes affirment que notre inertie écologique tuera et tue déjà aujourd’hui bien plus de gens sur Terre que la pandémie. Selon les cris d’alarme scientifiques, l’écologie est l’urgence la plus existentielle de notre histoire, car ce ne sont pas quelques pourcents de gens mais toutes les vies sur la Terre qui sont menacées de mort. Si nous voulons répondre en même temps aux quatre vagues, la relance doit redéployer massivement notre pays vers la transition.

L’été 2020 pourrait être le plus chaud jamais mesuré. Pourtant, nulle transition qui hisserait notre démocratie à la hauteur de l’urgence. Aucune reconnaissance officielle de l’urgence écologique. Aucune mobilisation générale de la puissance publique (1). Patrons et syndicats ânonnent “croissance, emploi, technologie et pouvoir d’achat” comme au XIXe siècle. Nos concitoyens s’endorment tandis que les engagés demeurent largement inaudibles. La réaction sanitaire excessive menace nos droits et libertés. Les technologies de contact à distance atomisent davantage les individus et perturbent l’engagement citoyen. Les plus faibles sont déjà les premières victimes des événements. Le chômage, les faillites et leur cortège de misère risquent de donner un boulevard aux tenants du néolibéralisme, aux extrémistes et aux nationalistes alors que nous avons besoin d’une politique véritablement écologique, c’est-à-dire systémique, qui englobe toutes les urgences actuelles.

Le mot “urgence” n’a aucun synonyme en français ; tant que dure l’inertie, l’urgence s’aggrave :

1) 2080 jours et 10 millions de tonnes de gaz à effet de serre que la Belgique accumule chaque mois pour des siècles dans l’atmosphère, depuis la mise en demeure de nos autorités en justice, par 60 000 citoyens de l’Affaire climat, pour les contraindre à mettre en œuvre une politique climatique ambitieuse ;

2) 692 jours depuis le rapport spécial du Giec sur les conséquences catastrophiques d’un réchauffement planétaire de plus de 1,5 °C ;

3) 618 jours depuis que le Roi a accepté la démission du Premier ministre ;

4) 462 jours depuis les élections ;

5) 383 jours depuis la réception par la Chambre de notre pétition ;

6) 207 jours depuis le dépôt à la Chambre d’une proposition de résolution sur la déclaration d’état d’urgence climatique et environnemental ;

7) 100 jours que l’on débat d’un plan de relance sans en voir le moindre signe.

Reconnaître l’urgence

Contrairement à de nombreux pays, villes et à l’Union européenne, notre pays n’a toujours pas reconnu officiellement l’urgence écologique au niveau des gouvernements, des Parlements, des administrations et des organes de presse dans les différentes entités. Les images d’Australie, du Brésil, de la Californie, la canicule et la sécheresse belges devraient pourtant nous servir d’avertissement. Les citoyens méritent un débat parlementaire transparent, une meilleure explication par la presse des causes systémiques des destructions environnementales et de leurs impacts humains, une réorientation fondamentale des positionnements patronaux et syndicaux vers une prospérité soutenable, une plus grande participation citoyenne aux décisions politiques. Nous avons besoin d’une déclaration de politique fédérale qui place l’urgence écologique au centre et d’un nouveau pacte entre les entités pour une transition démocratique, sociale, économique et environnementale. Notre futur Premier ministre devra être capable d’incarner cette transition, avec audace et conviction.

On ne compte plus les avertissements non suivis d’effets. Errare humanum est, l’erreur est humaine ; perseverare diabolicum, persévérer dans l’erreur est impardonnable. Il est temps de nous réveiller.

(1) : Notons néanmoins que sept députés issus de cinq partis ont déposé à la Chambre une proposition de résolution “visant à suivre l’exemple du Parlement européen en déclarant l’état d’urgence climatique et environnementale et à entreprendre par conséquent des actions immédiates”. Malheureusement, cette proposition était encore pendante à l’heure d’écrire ces lignes.

La tribune est parue dans La Libre.be le 15 sept.2020 :
https://www.lalibre.be/debats/opinions/l-inertie-ecologique-de-notre-pays-a-trop-dure-5f5f8b8f9
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